On ignore ce qui se cache dans l'obscurité, dixit David Lynch – l’enfant taciturne et rêveur devenu peintre, sculpteur, écrivain, musicien et bien sûr monument du 7e art, vient de tirer sa révérence…
Les forêts se taisent de plus en plus. Apparemment – c’est ce que raconte la performeuse Nele Möller (dans Sub Terra, la Biennale du son à Bruxelles) – le bouleversement climatique éteindrait ses voix souterraines, y compris «le chant des vers».
Alors, ni une ni deux, je tends l’oreille… au milieu d’arbres habillés par le gel. Magnifiés parce qu’intensément fragilisés, pétrifiés jusqu’au silence. En tout cas, la marche durant, plus le froid coupe ma respiration, plus il réenchante ma perception de l’espace, de la cathédrale naturelle faite de troncs noirs et de branches blanches… comme autant de touches d’un piano éphémère, le temps d’une partition dédiée aux lamentations invisibles.
Que je dédie à Michel Medinger. Qui s’est éteint, ce 14 janvier, un matin polaire. Son regard unique, son humour décalé nous manquent déjà … Bien sûr, L’ordre des choses, l’expo qui consacrait son œuvre photographique à la chapelle de la Charité l’été dernier, lors de la 55e édition des Rencontres d’Arles, a remporté un succès retentissant. Mais ce qui s’écrit à jamais, mon souvenir de Michel, c’est un mot: affection, celle-là qui donnait des ailes à sa fantaisie. Pour citer Lët’z Arles: les nouvelles acquisitions des photographies de l’artiste par le CNA rejoindront à l’automne prochain l’itinérance de l’exposition arlésienne. En ajoutant, vibrant hommage, que Michel Medinger – Vanitas, ultime expo, sera présentée à la Villa Vauban au printemps.

J’en suis là: pieds frigorifiés, corps engourdi… mais passablement délié par une gorgée de café brûlant, idéale sensation pour vous raconter l’univers de Gloria Friedmann, artiste allemande (née en 1950) établie en Bourgogne, personnage attachant, artiste immense (sculptrice, auteure d'assemblages, créatrice d'environnement) rencontrée chez Ceysson – vaste galerie, autre type de cathédrale, sise à Windhof/Wandhaff (Koerich) –, qui, notamment, utilise la terre de son jardin pour nous parler du vivant (visuel ci-dessus). Nous parler d’un art qui se confond au vivant, un art de réparation/réconciliation entre humains et non-humains – dans l’expo, intitulée Les magiciens du temps d’arrêt, des perroquets taxidermisés, un théâtre d’ombres, des photos et des huîtres qui coiffent du bois anthropomorphe. Je vais m’y attarder au plus vite... tout comme sur Echo, l’expo de JKB Fletcher qui réinterprète le paysage photographique d’Edward Steichen par la peinture à l’huile: c’est tout bonnement sublime… et ça se passe dans la galerie Nosbaum Reding.
Réparer n’est sans doute par le propos des artistes réunis dans l’Espace Beau Site (Arlon), ni de minimiser leur impact sur la nature, en même temps, si, il y a de ça, en privilégiant le recyclage… de ce matériau aussi pauvre qu’éphémère qu’est le papier, ce rebut destiné à l’emballage, aussi à l’imprimé, donc à l’écriture, au véhicule de la pensée, mais somme doute voué à la poubelle. Un papier – mémoire de bois, d’arbre – alors détourné, anobli, sublimé par le geste. Papiers sensibles, ou le triomphe d’une fragilité de toute beauté, et d’un temps qui résiste à la mesure, à découvrir ci-dessous (et c’est irrésistible !)

Dans l’immédiat, visite éclair de We are all naked, l’expo de Pit Wagner, à Schifflange (Schëfflenger Konschthaus) qui mélange les supports – papier, toile, bois, carton, textile (ça, c’est nouveau !) – et les techniques – peinture, dessin, encre, fusain, gravure, vernis mou, aquatinte, couture, collage, sculpture – pour nous inviter à sortir de nos prisons mentales. En fait, partant du nu, son genre artistique de prédilection, le nu anatomique, physique, plastique, masculin et féminin, Pit convoque allégorie et métaphore, soit: cet état de nudité qu’est le repli, l’isolement, qui caractérise notre monde comme il va mal. C’est une invitation d’abord figurative, en rien donneuse de leçon.
Figuratif, oui, ce qui n’empêche pas une abstraction (acrylique) toute bleue, laquelle, intitulée Navel, traduit un trouble personnel, une culpabilité aussi curieuse qu’ambiguë, celle, en exposant, de se mettre à nu. Se regarder le nombril, une posture/imposture au demeurant partagée par moult artistes… et que confesse Pit de ses yeux qui frisent pour masquer une anxiété.
L’image générique de We are all naked, c’est un modèle masculin en position de lotus repliée, la tête couchée sur les jambes, c’est une gravure sur bois transférée sur coton, une technique adoptée malicieusement par Pit depuis… son acquisition d’une machine à coudre ! Et qui, depuis, n’en finit plus de fouiller dans ses vieilles chemises et autres textiles: cfr visuel ci-dessus (photo © Schëfflenger Konschthaus) où ledit textile est un assemblage couturé de morceaux d’édredon…
Sinon, défilent des œuvres de ces 5 dernières années, matrices réactivées, travaux anciens et récents enchevêtrés, xylo et linogravures parfois collées au milieu d’une composition en vue d’un sens autre à y infuser. Comme ça lui traverse l’esprit, dit Pit, et c’est clair, ça bouillonne, ça carbure. Ça tient tantôt du rébus ou de l’aphorisme, tantôt du conte – avec des muses qui dansent jusqu’au ciel pour devenir des pléiades – ou du mythe – dont celui d’Icare. C’est parfois symboliste, parfois surréaliste, souvent amer, jamais désespéré – à la faveur de nombreux semis de fleurs.
De la couleur, et même une installation sculpturale faite de matrices de bois dépecées/fracturées comme pour signifier que désormais elles ont tout dit, et puis des traits, à l’encre ou au stylo pinceau encre à pigments – ce qui permet à l’artiste de créer/croquer sur un coin de table –, de divines esquisses d’où, en quelques tracés ou lignes sobres, naissent des instants… au-delà des corps, aussi des dessins d’observation typiques des fanzines.
Dans We are all naked, Pit Wagner révèle les traces de notre vécu, nos forces et nos faiblesses. En tout, quarante nuances… de mise à nu. Jusqu’au 15 février – Schëfflenger Konschthaus, 2 Avenue de la Libération, Schifflange, expo accessible du mercredi au dimanche de 14.00 à 18.00h.

Bon, il est l’heure de laissez parler les p’tits papiers, ces papiers à haut potentiel sensible qui défient la gravité dans l’Espace Beau Site.
Toutefois, petit tour de piste préalable dans la première page de l’agenda de janvier.
Dans le sillage des commémorations en 2024 du 50e anniversaire de la Révolution des Œillets, le TNL (Théâtre National du Luxembourg) – en collaboration avec le Centre culturel portugais- Camões – programme une adaptation par Nuno Cardoso de Fado Alexandrino, un roman d'António Lobo Antunes (de 1983), une mise en abyme de l'histoire récente du Portugal qui est une allégorie du fado (visuel ci-dessus) – à l’affiche du TNL le 18 janvier à 19.30h et le 19 janvier à 17.00h.
A neimënster, retour de RESET, désormais incontournable festival de jazz qui en est à sa 8e édition – du 19 janvier au 26 janvier –, invitant derechef le compositeur et vibraphoniste Pascal Schumacher à endosser le rôle de curateur musical. Pour mener à bien ce projet, les étoiles montantes et les valeurs sûres -– quatre femmes et quatre hommes – du jazz de Belgique, de France, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Suisse, de Pologne et de Norvège ont été invitées à partager une résidence de plusieurs jours sur le site de neimënster, accompagnées du batteur luxembourgeois Paul Wiltgen. Résultat de leurs sessions de travail partagé en public lors de trois soirées exceptionnelles: le 23/01, dès 19.30h, parcours musical dans le Grund, le 24/01, à 20.00h, concert inédit dans la Brasserie Abtei, et concert de clôture de résidence le 25/01 à 18.00h et à 20.30h, sur la scène de l'abbaye.
C’est au Kinneksbond (Mamer), le 31 janvier que la chorégraphe luxembourgeoise Jill Crovisier présentera sa nouvelle création, du moins elle y dévoilera un aperçu de son processus de création, sachant que The Game – Grand Finale est l’apogée de trois années de recherche passionnée à travers le monde, au cours desquelles Jill a sondé, par le prisme du mouvement et du son, les différentes manières dont le jeu est perçu et pratiqué à travers les cultures. Quant à la première de ce nouvel opus, elle aura lieu au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg les 13 et 14 février – le spectacle sera ensuite repris au Escher Theater les 19 et 20 juin, ainsi qu’au Trifolion Echternach le 26 juin 2025.
Et pour clore en musique, notez qu’à la Philharmonie Luxembourg, la succession de Gustavo Gimeno sera assurée par le jeune Hongrois Martin Rajna (29 ans) qui prendra donc la direction musicale de l’OPL (Orchestre Philharmonique du Luxembourg à partir de septembre 2026, pour un contrat de 4 ans.
Sinon, pour les fans d’argile, le rendez-vous pointu, c’est Ceramic Brussels, la première foire internationale d'art contemporain dédiée à la céramique, qui aura lieu du 22 au 26 janvier sur le site de Tour & Taxis. On promet plus de 60 galeries belges et internationales, institutions et acteurs clés de la céramique dans une scénographie unique, en cette foire qui met en exergue la Norvège. En tout cas, la galerie luxembourgeoise Reuter-Bausch y est présente, où, dans son stand B24, découvrir les Black doodles de Letizia Romanini.

Et puisqu’on est en Belgique, on y reste. Et on est au sud, à Arlon.
Dans l’Espace Beau Site (au 321 Avenue de Longwy) – une galerie mezzanine, lieu en tout cas atypique «nourri» par Pierre François, expert en accrochages raconteurs et porteurs –, quatre artistes (3 femmes, 1 homme) réunis au chevet du papier, matériau réhabilité dans ses états, utilisé dans toute sa souplesse, sa fluidité, et traité de manière textile. C’est jouissif, tant la lumière s’amuse, tant la patience à l’ouvrage – un tantinet méditatif – fait naître des regards médusés.
Quatre artistes, donc, plutôt de la région et déjà croisés dans le lieu. A commencer par Philippe Guichart qui y a exposé en solo il y a 2 ans et qui, partant de ténus segments de papier journal – aussi tenus que de courts fétus –, construit des architectures fluides, de complexes géométries funambules, aussi une suspension de formes oblongues, aux allures de quenouilles, toutes torsadées et ajourées (visuel ci-dessus).
Papier journal également pour Cécile Ahn, qui le tricote, puis le brode de fils de couleurs, composant des tapis carrés muraux; on lui doit également une série d’objets souples, en mailles de papier rassemblées/cousues, qui se feuillettent comme des livres. Une pratique manuelle, donc, mais qui se joue du «travail de dame», une main qui recoud la vocation du matériau, à savoir: la lecture. Celle-là qui se prolonge dans le confort d’un fauteuil, au demeurant tout habillé d’un… crochet de papier.
Isabelle Grevisse qui a exposé en duo avec Cécile dans une récente expo baptisée Pas de deux, est, elle, tombée dans de pleins sacs de confettis… qu’elle décline en d’inouïes pelotes. Humble communion du ludique et du poétique.
Enfin, avec Geneviève Ensch, une habituée des Biennales du livre d’artiste de Beau Site, le papier fait raccord avec l’écriture. En l’occurrence, la calligraphie. Dans ce que l’artiste appelle Paroles fossiles, d’abord il y a le papier utilitaire, sulfurisé ou paraffiné pour la cuisson, celui qui tapisse le cageot à chicons, celui du sachet du pain, voire celui, fin comme de la soie, qui emballe les oranges Papillon – ce qui nous vaut d’ailleurs un essaim de lépidoptères piégé dans une sorte de toile enchantée. Ces papiers sont alors froissés puis marouflés sur du bois, peint/teint, là où à l’encre noire caracolent d’épurés signes ou dessins de caractères imaginaires.
Avec Papiers sensibles, ode à la lenteur, Beau Site démontre que le papier n’est plus un simple support plan, il se sculpte et prend du volume et de l’esprit. Et de la magie.
On succombe jusqu’au 9 février, du mardi au vendredi de 10.00 à 12.00h et de 13.30 à 18.00h, le samedi idem jusque 17.00h, et chaque dimanche de 15.00 à 18.00h. Espace Beau Site, 321 Avenue de Longwy, Arlon, infos: www.espacebeausite.be
Merci pour cette délicieuse mise en bouche culturelle, elle convie à la découverte d'événements inspirants de part et d'autre de la frontière.