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Marie-Anne Lorgé

Théâtre de (la) vie

Dans Hamlet, il est question de temps dystopique, de famille qui disjoncte, de folie et de suicide (Hamlet selon la mise en scène de Myriam Muller est à voir aux Capucins à partir du 25 mars, je vous en parle tout bientôt).


Dans Charlotte, un «singulier objet de création» signé Muriel Coulin, il s’agit aussi de difficulté d’être. La vengeance en moins, le pouvoir subliminal de l’art en plus.


Pièces essentielles, qui auréolent la Journée mondiale du théâtre, célébrée le 27 mars



D’aucuns l’affirment, «la peinture est une poésie muette et la poésie est une peinture parlante». Dans le cas de Charlotte Salomon, la peinture, c’est un testament, c’est un acte de survie et déjà, c’est le fidèle récit d’une vie. De sa vie… qui est une tragédie. Avec des suicides en cascade – sa tante s’est jetée dans le Schlachtensee, sa mère s’est défenestrée, sa grand-mère aussi et l’héritage suicidaire gangrène apparemment tout l’arbre généalogique. Avec, surtout, pour toile de fond, le nazisme.


Charlotte (née à Berlin en 1917) est morte assassinée à 26 ans, gazée à Auschwitz en 1943. Mais Charlotte, amoureuse de la vie qu’elle traverse comme une comète, amoureuse aussi d’Amadeus – le surnom dont elle affubla son prof de musique –, c’est une artiste, primée à/par l’Académie de Beaux-Arts de Berlin (sans avoir jamais pu recevoir son prix), qui, «pour ne pas sombrer», se consuma dans un projet artistique, créant sans relâche «quelque chose de fou et singulier», à savoir: un Singespiel, une oeuvre alliant textes, musiques et peintures qu’elle baptise Vie? Ou théâtre?. Une oeuvre frénétiquement accouchée dans le sud de la France, à Villefranche-sur-Mer, chez ses grands-parents maternels, où, dès 1939, Charlotte résida comme réfugiée juive.


De l’œuvre, en témoigne un bon millier de gouaches assorties d’écrits réalisés au pinceau, que Charlotte, avant de disparaître, avait confié à son médecin en disant: «Prenez en soin, c’est toute ma vie». Cet ensemble pictural inestimable, retrouvé en 1947 et conservé au Musée juif d’Amsterdam, ne cesse d’inspirer moult écrivains, chorégraphes et cinéastes.


La preuve aujourd'hui avec Muriel Coulin, réalisatrice, qui dresse un portrait sensible de Charlotte Salomon dans un spectacle sobrement intitulé Charlotte – c’était à l’affiche à Luxembourg, au Théâtre des Capucins, les 16 et 17 mars (ne le ratez sous aucun prétexte en cas de reprise, ou là où il circulera) – et qui n’est en rien une simple relecture du livre éponyme de David Foenkinos (en même temps, voilà qui donne envie de (re)découvrir le roman!).


Sur scène, ce que Muriel Coulin construit, c’est «un objet singulier», où se déploie tout un univers… tendu à la fois par le souffle créatif et par «la furie d’une époque» – entre témoignages et documents, on entend notamment Goebbels cracher sa haine de l’art qualifié de dégénéré. Ce, en évitant soigneusement de verser dans le pathos, d’ajouter des souffrances à la descente aux enfers. Tout est dit, mais par touche(s) – c’est le fruit d’un intelligent travail documentariste –, à chacun de se faire son film.


Sur la scène, donc, d’un côté, la famille de Charlotte – rôles codifiés, campés de façon classique (en notant toutefois l’incandescence de Nathalie Richard, la belle-mère, une chanteuse lyrique surnommée Bim Bam) – et de l’autre, la prodigieuse Mélodie Richard, qui incarne Charlotte de façon stupéfiante, irradiant un subtil mélange d’innocence, de mélancolie et de traumatisme.


Le plateau est habillé de noir, habité par des voiles et des ombres. Entre les voiles – qui servent à distinguer les temps, les espaces et les réalités, qui servent aussi de surfaces de projection –, Charlotte se raconte, tricotant les fils de sa courte mais dense existence, observée par l’intime et par l’Histoire. Et Mélodie Richard, debout devant un petit orgue portable dont elle joue comme d’une boîte à couleurs – «c’est une histoire en bleu, en rouge et en jaune» dit-elle d’entrée de jeu –, d’assortir chaque fil d’une chanson (elle en a composé chaque partition) ou de la projection d’une gouache.


Au final, toutes les gouaches composent une sorte de bande dessinée «d’une modernité époustouflante». Et Charlotte, mémoire à jamais vivante, vibre comme une passeuse d'âme...

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