Les cloches sonnent à toute volée. Et par l’oreille, c’est tout un tableau qui se dessine, celui de la campagne qui se met à table, celui de l’école qui dépose ses crayons, celui d’un cortège de joie ou de peine. A chacun.e son paysage mental.
Parfois le coq s’y met aussi, c’est un comportement territorial à la double fonction, de séduction et d’autorité, qui n’a plus (ou guère) cours en ville… où les cloches sont priées de ne plus sonner toutes les demi-heures, nuit et jour. S’agissant par contre d’un carillon, là, c’est un autre son de cloche… toujours lié à une percussion mais plus prompt à apaiser, à «adoucir les mœurs», selon le célèbre proverbe d’Aristote – avec Platon, par contre, défiance il y a par rapport aux harmonies qui auraient tendance à ramollir le guerrier…
Mais trêve d’élucubration champêtre.
Les sons sont des regards. Des émotions aussi. Moi, quand j’entends le percolateur, je me souviens des mains de ma mère dans la pâte à gaufres le dimanche matin. Et à la première mesure de Nuages de Django Reinhardt, je vois mon père, lors des printemps de sa retraite, affairer à lier des tuteurs de jacinthes avec des ficelles de couleurs.
Alors voilà, musique et ficelles ont des allures de madeleine de Proust. C’est pourquoi je vous en parle, prenant appui sur l’expo collective conçue par Max Dax à la galerie Zidoun-Bossuyt et sur le programme «Hors circuit» du TROIS C-L (Centre de Création Chorégraphique Luxembourgeois). Je décode.
Non sans d’abord digresser, juste histoire de tirer sur la ficelle, en vous signalant que Chantal Maquet, lauréate du Prix Pierre Werner 2022, expose à la Reuter Bausch Art Gallery (au 14 rue Notre-Dame, Luxembourg) – visible encore jusqu’au 11 février, dont rencontre avec l’artiste le 9/02, de 17.00 à 19.00h – et que l'illustratrice coréenne Keong-A Song présente actuellement son Stardust Village de papier aquarellisé – «un nouveau monde imaginaire inspiré du réel, comme si on regardait à travers un kaléidoscope pour découvrir des micro partitions démultipliées, de poussières d’étoiles, de choses éclatées qui flottent dans le cosmos» – au Centre culturel portugais Camoes (4, place Joseph Thorn, Luxembourg-Merl).
C’est un bijou de finesse et de fantaisie, un théâtre délicat et pastel où de minuscules créatures à têtes de poissons ou d’oiseaux évoluent entre nature refuge et mer-poubelle-piscine ou mer… de nuages. Partant de souvenirs de lieux intimes ou visités (au Portugal), habités pêle-mêle entre ciel et terre par un poulpe géant, une tortue devenue ruine d’habitat, un bec de pélican transformé en station balnéaire, un soleil qui fond dans l’eau comme un oeuf, des masques carnavalesques, des oliviers millénaires, des champs à perte de vue et des poèmes qui volent (plus fécond qu’un inventaire à la Prévert), l’artiste fabrique un univers parallèle, en tout cas aussi follement onirique que mystérieux – c’est inclassable, en même temps subtilement traversé par Bosch, Dali, voire Folon – , où il est question de nos dérives et de notre nécessaire reconnexion au vivant.
Pas de leçon donnée, mais une conscientisation quand même, pas d’alerte impérieuse, mais une narration graphique sublimée en fable par la poésie – cfr photo ci-dessus: Panoramique de Monsanto et milliers de poèmes, 2022. Ça ne se rate pas jusqu’au 27 avril.
Ah oui, au bout de la ficelle, notez encore Lions in the City, à Walferdange, au CAW, une expo (orchestrée comme son nom l’indique par le Lions Club) consacrée à l’Atelier Empreinte, autrement dit: aux états de la gravure. 21 graveurs présents. Vernissage le 3 février, à 18.30h. Accessible jusqu’au 12/02 – jeudi & vendredi de 15.00 à 19.00h, samedi & dimanche de 14.00 à 18.00h. Visites guidées de l’expo les samedis et dimanches à 15.00h (le 4.2 avec Diane Jodes, le 5.2 avec Isabelle Lutz, le 11.2 avec Anneke Walch et le 12.2. avec Pit Wagner).
Sinon, pour tout savoir sur la Théorie des ficelles, rendez-vous au TROIS C-L, à la Banannefabrik (rue du Puits) à Bonnevoie.
«Un âne, on peut le tirer avec une ficelle mais non le pousser».
«Ne coupe pas les ficelles quand tu pourrais défaire les nœuds».
«Quand on prend la peine de découvrir toutes les ficelles, on se sent moins marionnette».
C’est clair, avec de la ficelle, les maximes se livrent en pelote, chacun éclairant notre place dans l’ombre ou la manipulation du monde.
En tout cas, celui qui tire les ficelles de son métier, c’est Etienne Fanteguzzi, un étonnant personnage qui après avoir étudié maths sup/maths spé, s’est formé à la danse à Angers et à Lyon. Et le voilà qui empêtre son corps dans un écheveau de fils tendus afin de comprendre ce qu’est le mouvement (photo ci-dessus © Alicia Gardes).
Postulant que l’écheveau des fils tient du labyrinthe de la pensée, le chorégraphe mêle ses expériences physiques, performances et improvisations, à ses questionnements. En résulte, un objet artistique hydride, conférence et spectacle de danse et de parole à la fois, truffé de formules qui sont autant d’hypothèses pseudo philosophico-scientifiques sur la définition du mouvement, et que l’artiste côtoyant l’absurde avec jubilation appelle donc la Théorie des ficelles.
Surtout, pour en découdre, Etienne partage sa théorie avec le public, comme une invitation, par l’imagination, de … se mettre en mouvement. Un bord de scène inédit immanquable le 18 février, à 19.00h.
Et puisqu’on est au TROIS C-L, restons-y pour sa soirée du 3 février, perfusée par une urgence poétique. Incarnée par Laura Arend, dont dernière pièce Léon s'inspire de la figure de l'épicurien et de la quête du bonheur intrinsèque à l'humain. «Allant d’un jeu empreint d’amusement et d’innocence jusqu’à une exploration des sensations, la chorégraphie incarne une célébration, de la vie, de la tromperie de la mort et surtout de l’art».
Au programme de ce «3 du TROIS», tablez aussi, notamment, sur la projection de Anne-Mareike Hess: Le corps en état d'urgence par Bohumil Kostohryz et Marie-Laure Rolland, un aperçu derrière les rideaux de la création chorégraphique. Infos (et réserv.): danse.lu
«Urgence poétique» ai-je dit? Trop belle est la ficelle qui fait raccord avec le Printemps des poètes - Luxembourg (PPL), qui aura lieu les 21, 22, 23 avril et qui, en amont, comme chaque année, organise un concours de poésie multilingue qui a, cette fois, pour thème «Frontières». Avis à tous les élèves et étudiants fréquentant un établissement secondaire du pays ou l’Université du Luxembourg, ainsi qu’aux adultes du Luxembourg, aimant la poésie et non encore publiés. Le formulaire de participation et les poèmes (3 au max.) en format Word doivent être envoyés pour le 11 mars 2023 au plus tard à l’adresse mail jeuneprintemps@printemps-poetes.lu
Remise des prix le 19 avril, à neimënster. Les lauréats des 4 catégories, placés premiers, seront aussi invités à se produire sur scène lors du 16e Printemps des poètes.
Selon Voltaire, «la poésie est une espèce de musique: il faut l’entendre pour en juger». En même temps, la musique donne à voir des images. Mais comment s’y prendre pour donner une image de cet invisible qu’est la musique? Tel est l’enjeu de l’actuelle expo de la galerie Zidoun-Bossuyt. On y est.
Toutefois… Oui, toutefois, impossible de ne pas faire aussi un très bref saut chez Ceysson & Bénétière, à Koerich-Wandhaff, où se déploie un formidable ensemble d’œuvres d’un peintre jazzophile, Yves Zurstrassen – le jazz, avec ses thèmes, rythmes, lignes de basse, improvisations et débordements, serait le miroir de sa création, dont «recollages», déchirures, pochoirs et grands formats (jusqu’au 25 février).
Un artiste qui crée en écoutant de la musique, pas de quoi fouetter un chat? Sauf que. Parfois la musique devient couleur, la perfusant dans le tube, tordant le pinceau, giclant sur la toile ou autre support; parfois, au-delà d’une transposition picturale du son, l’œuvre traduit la transe de l’artiste écoutant, immergé et transfiguré. Parfois aussi, l’artiste visuel rend concrètement hommage à la scène musicale avec laquelle il fait corps, davantage encore s’il est lui-même musicien, et ce, à travers ses interprètes et/ou ses instruments.
En fait, ce que charrie I’m Not There – The Invisible Influx of Music on Art, ce sont des images et c’est une forte présence – et le curateur de l’expo, forcément collective, c’est Max Dax, un écrivain et journaliste qui explore les dynamiques réciproques entre les champs visuels et musicaux et qui, pour la galerie Zidoun-Bossuyt, a réunit 8 artistes (confirmés ou émergents) afin de «proposer une perspective multiforme sur la peinture contemporaine allemande». Abstraite ou figurative. Tout en faisant un crochet par la photographie d’Isa Genzken (née en 1948) – qui, dans sa série New York, 1981, gomme les visages pour se focaliser sur les attitudes, le jeu de jambes de musiciens se produisant dans le club CBGB de Manhattan, réputé pour être le lieu de naissance du rock underground – et par la sculpture de Thomas Scheibitz (né en 1968) – qui sanctifie en MDF et alu la mémorable Flying-V, guitare électrique de type «corps plein» et en queue d’aronde, notamment popularisée par Jimi Hendrix.
Des pointures se bousculent au portillon, à l’exemple d’Emil Schult (né en 1946) – cet élève de Gerhard Richter et de Joseph Beuys devenu mondialement connu en tant que peintre officiel de Karftwerk, la preuve avec Autobahn, réplique à l’huile (2020) de la «cover» de l’album éponyme du groupe sorti en 1974 (photo ci-dessus). A l’exemple aussi de Max Frintrop (né en 1982), qui a précisément trouvé dans la musique une réponse au problème que lui pose la peinture. Résultat? Un espace pictural bleu cosmique grand format, fait d’éclaboussures d’encre – une gestualité aussi calculée que spontanée – et de formes dont la géométrie évoque les tests de Rorschach.
Eclaboussures aussi avec Bettina Scholz, travaillées en séries de stèles géantes, sur panneaux de bois qu’elle recouvre d’une plaque de verre. Travail synesthésique, à la fois envoûtant et terrifiant, aussi halluciné qu’émotionnel, une visualisation au spray et à l’acrylique, à coups d’explosions tantôt bleues tantôt rouges, de musique electro ou techno et plus explicitement de Firestarter et de Qualm, des morceaux (respectivement) d’Helena Hauff et de The Prodigy, comme en attestent, par osmose, les titres des oeuvres exposées.
On en profite pour revisiter ou améliorer son bagage musical.
Pour finalement croiser… un Luxembourgeois: Filip Markiewicz. Retour au calme… apparent. Puisque sa dernière composition Rehearsal for a still life (Répétition pour une nature morte) est/reste une estocade (c’est la marque fabrique de l’artiste) figurative. Cette composition est une mise en scène où cohabitent 4 figures féminines, celle de Billie Eilish, portraiturée à l’huile comme une Joconde ou une Madone blonde, celle d’une activiste climatique – le slogan Just Stop Oil inscrit sur son tee-shirt ne manque du coup pas d’ironie – et celle de deux courtisanes (ou assimilées) exhumées de la Renaissance, assises sur un canapé, devisant plutôt férocement, en tout cas, leur allure de mégères est (c’est Filip qui le dit) le fruit de… l’intelligence artificielle. Sur fond d'Histoire de l'art mâtinée d'actualité, clin d’œil féministe… détourné?
Infos:
Zidoun-Bossuyt Gallery, 6 Rue St Ulric, Luxembourg: I’m Not There – The Invisible Influx of Music on Art, expo collective, jusqu’au 4 mars – www.zidoun-bossuyt.com
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