Ce matin, c’est le dernier café noir de ma petite mise en retrait de trois jours dans 50 nuances de vert, sous des ciels chahutés par des vents cabochards, virant en 15 minutes chrono du plomb au bleu layette.
Et dans les senteurs d’une fin de chasse aux bolets, voilà une envie de vous écrire… une carte postale. J’adore le rituel associé à son écriture, qui, du reste, ferait un singulier retour en grâce au même titre que… le tricot ou le crochet. En tout cas, le geste d’écrire donne accès à des états de bien-être insoupçonnés, mieux qu’une camomille, ou une grappa, ou un plongeon en eau froide (biffez la tentation inutile), vous auriez donc tort de ne pas essayer.
Avant mon initiation mycologue, j’ai rencontré Rachid Koraïchi, plasticien et poète algérien (né en 1947), singulier créateur symboliste, décrypteur de la dimension transcendante de la vie, transcripteur de signes peints comme d’inouïes tapisseries sur fond bleu, architecte d’un lexique aussi visuel que spirituel, aussi exceptionnel qu’inédit, entre tradition et innovation, exposé dans le monde entier et présenté aujourd’hui à la galerie Simoncini (rue Notre-Dame à Luxembourg) – je le dis tout net, c’est divin. Jusqu’au 9 novembre (du mercredi au samedi de 11.00 à 18.00h).
Et rencontré Vera Kox, dont l’expo Sentient Soil traite de phénomènes géologiques et climatiques par une céramique qui se joue de notre perception, l’agile se muant en peau – ça se passe à la Konschthal Esch, lieu (désormais incontournable) d’une autre proposition forte, Dis-placed II, qui agite une notion d’une actualité implacable, le «chez soi» et/ou sa perte.14 artistes internationaux s’y collent, dont la photographe luxembourgeoise Lisa Kohl qui, devant une clôture barbelée, empile des chaises de plastique: pour simple que soit le dispositif, il est terriblement efficace, c’est le détournement d’un objet devenu ainsi sculptural pour signifier une situation politique, le conflit entre Chypre et la Turquie.
Dis-placed II, c’est un plat de résistance, je m’y attarderai (immanquablement) dans mon prochain post. Pour l’heure, je zoome sur Vera Kox (ci-dessous).
Non sans d’abord vous suggérer deux détours.
Ainsi, le LAC (Lëtzebuerger Artisten Center) nous invite du 4 octobre – vernissage à 18.30h – jusqu’au 13/10 à «L’art en marche 24», ce, dans le cadre de «HespArt», qui, comme son nom l’indique, se déploie à Hesperange, au CELO, 476 route de Thionville. Il s’agit évidemment d’une expo, une cohabitation de pratiques artistiques conjuguées de 16 artistes, à savoir (entre autres) photographies de Luc Ewen, sculptures de Bertrand Ney et Tom Flick, peintures de Jean-Marie Biwer et Robert Brandy (qui expose parallèlement chez Ceysson à Windhof/Koerich), hormis Michel Medinger, dont, pour rappel, L’ordre des choses, le monumental cabinet de curiosité composé de photos et d’objets de la collection de cet artiste-alchimiste vient d’expirer à Arles, sachant toutefois que certaines de ses œuvres photographiques sont encore visibles à Luxembourg, au Parc de Merl (101 Avenue du Dix Septembre), jusqu’au 13 octobre, avec une ultime visite guidée (par Paul di Felice) organisée (par Lët’z Arles) le lundi 7 octobre à 12.30h.
Sinon, visa pour la lusophonie, la musique et les musiques du Brésil au Cap-Vert. Avec le festival «atlântico» qui depuis 2016 occupe une place de choix dans la programmation automnale de la Philharmonie Luxembourg. Un festival qui, en cette année 2024 marquant la célébration des cinquante ans de la Révolution des Œillets portugaise, s'inscrit plus que jamais à la croisée des disciplines, du 5 au 13 octobre.
Parmi les pépites, cochez Maro, une singer-songwriter native de Lisbonne à la voix grave et délicieusement voilée (le 10 octobre, 19.30h – visuel ci-dessus, photo ©Lorena-Dini).
En pré-ouverture à «atlântico», le 4 octobre, à 19.30h, au Centre culturel portugais-Camões (4 Place Joseph Thorn), concert 20 Fingers de Mozart a Chico Buarque du duo de pianos à quatre mains formé par João Vasco et Eduardo Jordão – entrée libre dans la limite des places disponibles.
Et hop, on passe du son à la matière, de l’oreille au geste, avec les paysages prophétiques de Vera Kox, artiste allemande d’origine luxembourgeoise. Tout le monde descend à la Konschthal Esch
Parler de notre planète, de sa constante évolution naturelle, mais aussi de l’accélération du processus de ses transformations, comme la liquéfaction des solides glaciers ou l’assèchement de mouvantes zones humides, donc pour parler des nouveaux visages de notre environnement sous le coup des distorsions climatiques, Vera Kox explore tous les possibles de la céramique, cet art de la métamorphose du matériau argile qui dit la terre, la géologie et le rapport au temps.
De la malléabilité de la matière, de son potentiel déformant/mutant, mais un potentiel parfaitement illusionniste, agissant sur notre perception, Vera nous en avait déjà fait la démonstration en 2022 à la galerie Nosbaum Reding avec son expo Soft as a rock. Cette fois, pour Sentient Soil (Sol sensible), l’artiste Kox intensifie son exploration céramique à la faveur d’une résidence… accomplie au Mexique (c’est que, comme le dit Christian Mosar, le directeur du lieu, à la Konschthal … il n’y a pas de four !)
Et cette fois, ladite exploration céramique jouit d’une scénographie spectaculaire qui crée des paysages alternatifs, met en lumière la sensibilité des matières traversées par une tension palpable, traduit les analogies en même temps que les relations compromises entre le vivant – la terre sur laquelle on vit – et la sculpture en terre cuite, l’objet fabriqué, donc, l’humain.
Tout part d’un ensemble de barres suspendues en acier, une allusion à la balançoire, donc, à l’équilibre précaire. Sur chaque élément industriel, dépôt d’une forme informe, une texture porcelaine, donc dure, qui mime l’organique, le mou, le fragile – à y regarder de près, similitude il y a avec une peau de reptile, laquelle, par essence, mue, un phénomène physiologique conditionné par le milieu qui implique un changement de nature et d’état, dont passage du statique au dynamique (visuel ci-dessus: Spinal drip, ©HEAD/photo: Raphaelle Mueller).
On progresse dans le cours des bouleversements. Par la dissolution. Avec des empreintes de plantes apparemment depuis longtemps disparues et dès lors pétrifiées dans la glaçure, une vision de l’extinction de la biodiversité cyniquement racontée par un enduit ocré de toute beauté. Suit un impressionnant tapis vert, de la mousse, élément vivant originel (première forme de vie apparue il y a près de 450 million) et éternel, à condition… d’être humidifié, et donc, tributaire de la vigilance et des soins des gardiens du lieu.
Autour, des vitrines aux allures d’aquariums... habités par des polypes blancs de kaolin et des branches métalliques, autant d’organismes pastichant le vivant immergé, donc soumis au travail de sape ou de régénérescence de l’eau, la rouille pour le métal, le putrescible pour le bois, mais la croissance ou la réparation pour ce qui copie le corail.
La dernière salle est dévolue au meuble et à son contraire, le solidifié, avec une sorte de boue géologique vouée à un lent mais inexorable procédé de dessiccation. Au milieu de cette plage de glaise gorgée d’eau, des poutrelles croisées – raccord avec l’identité sidérurgique de la région – , sur lesquelles poussent deux étranges excroissances, sculptures faussement flageolantes, vraisemblablement proliférantes.
Autour de Sentient Soil, expo esthétiquement associée à l’artisanat et à l’écochimie, surtout édifiante quant au devenir de notre «habitat», entre le maintenant, le bientôt, le pas encore et le futur probable, existe un programme cadre, incluant la présentation de la monographie de Vera Kox… en conversation avec l’auteure Lisa Robertson, poétesse & essayiste canadienne, et Sarah-Ihler Meyer, critique d’art, ce, le 24 novembre, à 15.00h, en périphérie de la Luxembourg Art Week.
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