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Le désir et l’ordinaire

Marie-Anne Lorgé

Entre la boîte à biscuits de Modiano et le festival Printemps des poètes-Luxembourg (qui, comme l’an dernier, a lieu au seuil de l’automne, du 24 au 26 septembre), entre la revue Apulée et la façon dont l’anthropologue Richard Rechtman nous parle de la vie ordinaire des génocidaires, rien à voir. Et tout en même temps. Descente en apnée dans une galaxie non de doux rêveurs mais d’éveilleurs.



«Laissez le temps s’étirer/ Et sans le maudire, patientez…»: ça, c’est Julos Beaucarne qui l’écrit. Et Julos, c’est l’homme aux pieds ailés qui habitait une adresse ouverte aux vents, qui dessinait des arcs-en-ciel, les offrait à côté de sa bière d’épeautre. Julos, c’est celui-là qui s’élevait avec ses mots contre toutes les injustices.


Et Julos, à qui l’on doit «De mémoire de rose/ On n’a vu mourir un jardinier», vient de disparaître dans les ombres de ses arbres fruitiers.

La nouvelle est tombée ce matin, à l’heure des brouillards, des araignées repliées au chaud aux coins de nos fenêtres, à l’heure aussi des désirs qui tournent comme une cuillère dans le café encore fumant.


J’ai toujours pensé que le désir était rond. Du reste, dans la nature, rien n’est jamais carré, c’est pourquoi les peuples premiers, les Amérindiens, inscrivaient le vivant et l’au-delà à coups de cercles – une géométrie aussi simple que sacrée, en accord intime avec la vie… circulaire.


En tout cas, le désir, c’est le port d’attache et d’échappée(s) des poètes réunis pour la 14e édition du Festival du Printemps des poètes-Luxembourg. Ils sont neuf au total – avec Annelisa Alleva (Italie), Serge Basso de March (Luxembourg), Rim Battal (France), Ákos Györffy (Hongrie), Doina Ioanid (Roumanie), Rui Lage (Portugal), Lisette Lombé (Wallonie-Bruxelles/Belgique), Judith Nika Pfeifer (Autriche) et Lluís Roda (Catalogne) – à piétiner la poussière, à faire pousser des vergers de langues, à prendre la route, à parler de corps joints ou spirituels, d’orchidées et de perles de sang. Et ce, trois jours durant.


Le voyage en terre-désir commence le 24/09, à 19.00h, au CELO, salle de concert/spectacle sise à Hesperange (476 route de Thionville). Le contrebassiste Vedran Mutić accompagne les lectures – c’est entrée libre, ce qui ne dispense pas de réserver: info@printemps-poetes.lu. Et le marathon continue le samedi 25/09, à neimënster (Grund), mais de 19.00 à 22.00h: un rendez-vous unique de libération de la parole et de l’oreille baptisé «Grande nuit de la poésie», entrecoupé par une pause-repos – c’est aussi entrée libre, avec réservation obligatoire: billetterie@neimenster.lu


Et pour clore, le dimanche (26/09), la galerie Simoncini (6 rue Notre-Dame à Luxembourg) renouvelle sa formule de «Matinée poétique» dès 11.00h, le temps d’un débat rameutant tous les poètes/poétesses du festival avec retransmission en live stream sur le FB du PPL (printemps-poetes.lu).


S’agissant d’échanger les mots pour changer la vie, voici Apulée, une revue annuelle de littérature et de réflexion née autour du nom d’Apulée, «auteur berbère d’expression latine, qui ouvrit au IIe siècle une extraordinaire brèche de liberté aux littératures de l’imaginaire». Et donc, Apulée, qui «parle du monde d’une manière décentrée, nomade et investigatrice», fait pour la première fois une halte au Luxembourg, à l’occasion de la sortie du numéro 6.


Ça se passe au TNL (Théâtre national du Luxembourg) le 23/09, à 20.00h (en prélude du Printemps des Poètes), au chevet de quatre écrivains et artistes de cinq continents, dont Jean Portante, et Hubert Haddad, poète fondateur d’Apulée, Jean-Marie Blas de Roblès, philosophe, et Laure Cambau, poète et pianiste – une manifestation organisée sous protocole CovidCheck par l’Institut français du Luxembourg (réservation: contact@ifluxembourg.lu).



Pas de mots avec Lynn Cosyn, mais une œuvre de carton qui en dit long… sur notre nécessaire décélération et un salutaire retour à la nature (les 2 photos ci-dessus).


L’œuvre en question, intitulée UKIYO - Living the moment, est visible en permanence, de jour comme de nuit, jusqu’au 5 décembre, dans l’une des vitrines du Cercle Cité (rue du Curé, Luxembourg). Il s’agit d’une sorte de castelet, un décor de petit théâtre, tout pastel, où des personnages lâchent prise, s’abandonnant à l’instant présent avec ses minuscules poches de vie simples, concrètes, imaginaires aussi. C’est frais, et nous rappelant visuellement que nous avons tout intérêt à ralentir, c’est réellement inspirant. Ça mérite de faire une pause… en léchant la vitrine.



Et puisque j’en suis au rayon expo, c’est en ravivant un désir gourmand, en puisant dans la célèbre boîte à biscuits décrite par l’auteur Patrick Modiano dans La Petite Bijou que Pierre François, fondateur-orchestrateur de Beau Site, singulier espace d’expo niché dans une mezzanine, à Arlon, met en scène les installations (peintes, brodées, imagées, bricolées) de treize artistes plasticiennes (dont la Luxembourgeoise Diane Jodes, la photo est celle de son œuvre Hilda). Qui toutes ouvrent/fouillent le vestiaire de l’enfance. C’est doux, sensible, comme l’aphorisme de Duras, «Il reste toujours quelque chose de l'enfance, toujours...»


Je vous en parle en chaussons dans mon prochain post.



Sinon, aux antipodes, là, dans la caisse de résonance de la brûlante actualité, voici non pas un livre, mais un essai, La vie ordinaire des génocidaires, paru aux éditions du CNRS. Commis par Richard Rechtman (photo: © Didier Groupy). Tout juste primé. Lauréat en l’occurrence du «Prix Paris – Liège», doté de 10.000 euros, organisé par la Ville de Liège, avec le soutien de la Ville de Paris, et qui récompense annuellement le meilleur essai original portant sur les sciences humaines, écrit en langue française et publié au cours de l’année qui précède celle de la remise du prix – laquelle aura officiellement lieu le 24 septembre, à 18.00h, à La Boverie à Liège, lors d’un apéro littéraire. Réservation obligatoire: lectures@liege.be ou au tél.: (00.32).4.238.51.59.


L’ouvrage est une fascinante (et poignante) étude anthropologique sur les tueurs de masse. «On parle tantôt d'hommes radicalisés soumis à une idéologie, tantôt d'hommes médiocres, "banaux", qui ne font qu'obéir aux ordres, tantôt de monstres assoiffés de sang». Mais qui donc sont ces hommes capables de tuer ainsi à la chaîne? (dixit ActuaLitté).


L’objectif est de comprendre leur passage à l’acte. L’auteur Rechtman, psychiatre et anthropologue, directeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), «analyse le quotidien de ces hommes et la préparation minutieuse de leurs crimes. Il démontre que ce ne sont pas les plus sadiques, les plus motivés ou les plus endoctrinés qui tuent le plus facilement mais les plus disponibles» (Livres Hebdo).

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