top of page
  • Marie-Anne Lorgé

La vie qu’il fait

Le 23 avril, comme chaque année depuis 1995, on célébrera la Journée mondiale du livre. Avec comme slogan, «Lire… pour ne jamais se sentir seul» – ce qui ne manque pas de faire écho à notre actuel mode à vivre en (quasi) bocal.


Alors, voici une petite balade textuelle pour bien commencer la semaine, chaloupant de strophes en chansons, entre ombres et premières amours. En compagnie de Jean-Luc Kockler (à l’occasion de la sortie de son nouvel album Yang), de Corina Ciocârlie (qui compile les textes du 8e volume de la collection aphinités), d’André Simoncini (qui donne voix aux secrètes fantasmagories de l’artiste américaine Holley Chirot) et de Serge Basso qui d’ailleurs ouvre ce chapitre.


J’en profite aussi pour ouvrir une parenthèse saluant Couleurs de l’intime, le dernier roman de Michèle Frank, écrivaine mais aussi artiste peintre, qui, actuellement, dans l’Espace H2O d’Oberkorn (Differdange), expose ses récentes créations entre révolte et jubilation, et surtout en Interaction avec le sculpteur René Wiroth – finissage le 25 avril, avec, à 16.00h, lecture par Michèle Frank d’un extrait de son livre (édité chez Phi).



Même quand il parle de la mort, Serge Basso de March, aussi écriturien que citoyen du monde, ne peut s’empêcher de décocher un bon mot, comme une pirouette de clown, une politesse pour masquer les fêlures.


C’est le cas dans son nouvel opus, intitulé Triptyque d’un horizon aperçu, qui serait un oratorio – Serge adore les allusions musicales, ses romans policiers fourbis à quatre mains avec Enrico Lunghi plantent ainsi leur décor dans les quatre saisons... autrement troussées par Vivaldi –, un oratorio, donc, hanté par «la mort, un vieux chat et quelques personnages mythologiques égarés» – c’est précisé sur la couverture… et ça a le talent de vous embrouiller les cartes.


Tout le livre est du reste charpenté comme une partition, avec intermèdes, récitatifs et chœurs, subdivisé en saisons (encore elles), en «poèmes au carré», en «états des lieux» et en «proses, sans queue ni tête, du chemin parcouru» (les 12 proses du genre sont en fait rédigées selon le principe du cadavre exquis ou, plutôt, du marabout, ce jeu d'esprit consistant, à partir d'une expression initiale, à construire une suite, qui se termine comme elle recommence et où, comme en un fleuve intranquille, Serge fait déborder de lui tout ce qui déborde en lui, dans le désordre, «et tout, et tout, toutous, compte là-dessus, mouche ton nez, et dis bonjour à l’aigle…») .


Une construction typique de l’esprit frondeur de Serge Basso – un «zig de Lorraine» né en 1960, dont le destin de commis du mot n’était à l’origine pas écrit et qui a par ailleurs piloté 18 ans durant la Kulturfabrik d’Esch/Alzette –, Basso friand d’aphorismes, semeur de contrepèteries, adepte du sabotage linguistique, réfractaire aussi à la poésie dès lors qu’elle est de compassion.


Toutefois, à la dimension poétique, il y tient, comme à la farine qui collait aux mains blanches de ses parents «qui écrivaient, sur la table journalière, des lexiques fabuleux remplis de mots venus de mes racines: polenta ou gnoccis». C’était le temps des Dimanches de farine, devenu un texte d’une sensibilité rare, aussi pudique qu’une preuve d’amour lentement fermentée, pour être finalement servie chaude sur le plateau du Théâtre du Centaure (en 2009).


La table de Serge, celle de l’écriture, n’est pas quotidienne, afin «de ne pas en devenir l’esclave». Sauf que quand il s’attable, ça fait trembler les meubles. En l’occurrence, avec son nouveau Triptyque..., on imagine un banc, d’où Serge, en regardant devant, ne peut retenir les souvenirs et les rêves d’avant. Au final, c’est une œuvre réellement poète dans la mesure où elle tente «de répondre en poésie aux questions fondamentales de la destinée humaine».


Dès les premières pages – «le livre a été principalement conçu lors d’une résidence d’écriture à Gümüslük (Turquie) dans l’atelier de travail du poète turc Salih Ecer » (1954-2013), et nul doute que ce confinement consenti a fécondé l’introspection, sachant aussi que Serge, frappé par la Covid, reste durablement affecté par sa plongée en réanimation –, dès les premières pages, dis-je, la camarde s’invite. «Sous le vieil olivier la Mort a pris ses aises/ sirotant ses secondes au fil du vent déchu...».


Puis, parlant de la corde à linge, «elle trace au ciel qui pleut une ligne où se meurt/l’appel des jours passés…». Débarque alors le chat, flanqué de son testament: «Je te laisse le chat qui dort sur le fauteuil/ la couleur de la soupe et l’odeur du café/ Je te laisse un bouton un beau crayon sans mine/ le bout du bout du banc un truc et deux machins/et la virgule en trop et la cédille en moins /…/ Je te laisse des mots patati patata/ Garde ces trois fois rien qui font déjà beaucoup/ j’ai déjà trop de choses à ranger dans ma vie».


Et de considérations intimes en télescopages universels, de sensations minuscules en métaphores somptueuses, l’écriture passe par la mer, («Quel océan fait-il à l’horloge de New York /…/ Quel moment fait-il sur la digue à Ostende ?/ Quel chemin fait-il avant la nuit prochaine ?... » ), par le sable, les arbres, le linge (toujours lui), la maison, l’escalier, le lustre (qui «connaît chaque geste/ chaque toux/chaque pensée…») et bien sûr par «le chat d’outre-tombe», pour tutoyer la vieillesse et terminer par une splendide descente en apnée… «tout au fond de mes poches», là où il y a un jardin, des noyaux, un citron pour les soirs d’amertume, des doutes, des illusions et des moulins à vent «pour laisser à l’enfance/ le temps de ne pas prendre le temps de tuer tous les rêves».


Infos:


Serge Basso de March, Triptyque d’un horizon aperçu. Oratorio. Avec la mort, un vieux chat et quelques personnages mythologiques égarés, 86 pages, éditions LansKine, en vente chez Alinéa et Librairie Ernster.



Il n’en est pas à son coup d’essai, l’auteur-compositeur-interprète thionvillois Jean-Luc Kockler, un inconditionnel du poète parolier que fut Allain Leprest, (re)connu également pour chanter les mots de Nougaro, mais Yang, son nouvel album, le 9e, est sans doute le plus abouti (photo: © Alain Dodeler).


12 titres qui ont le goût du texte – et des textes sensibles et riches, très écrits (avec la complicité de Didier Benini et Sophie Terrade). Donc, pas de punchlines, ni d’ailleurs de ligne musicale formatée selon les actuelles recettes commerciales mais des arrangements bichonnés, qui oscillent entre funky et jazz, avec, en tout cas, une section rythmique où prédominent la batterie et les riffs de guitare, construite autour de magnifiques choeurs. En gros et en clair, dans la couleur, ça swingue. Ce qui n’empêche pas, selon l’émotion privilégiée, que ça ballade aussi.


12 titres servis par un phrasé particulier – ça frise parfois la voix parlée, celle de la nostalgie, celle des souvenirs –, avec des inflexions de voix qui évoquent parfois Michel Jonasz mais aussi Dick Rivers au détour de quelques beaux graves.


Yang arpente un thème universel: l’amour, perdu ou recouvré, en tout cas jamais simple. Amour de l’autre, de la femme, de la terre – comme dans Mayday, un titre qui sort de lot, où le yang qui symbolise la luminosité prend par le ton le contre-pied du yin, qui parle de la Terre de travers – et de la mère, comme dans Ma Reine, où dans un coin de Lorraine, sur la scène d’une épicerie ouverte toute la semaine, «apparaît Maman», «belle à pleurer la patronne» sauf que… «je ne sais pas que plus jamais».


Des mots qui transpirent le vécu, des chansons confessées comme des tranches de vie, qui font mouche, sans pathos, surtout sans s’aligner sur la guimauve prisée par les hits.


Yang, album bourré de qualités humaines et musicales, se commande sur www.kockler.net



Le 8e tome de la collection aphinités des Editions Phi, coédité par la Ville de Luxembourg, et qui vient de paraître, comprend des textes d’auteurs invités par Corina Ciocârlie à se pencher sur un thème bien spécifique. En l’occurrence, les écrivains Lambert Schlechter, Elise Schmit, lan De Toffoli, Nico Helminger, Georges Hausemer, Jean Portante, Pierre Joris, Jean Bürlesk, Florent Toniello, Nathalie Ronvaux, Carla Lucarelli et Anja Di Bartolomeo – «chacun à sa manière et dans la langue de son choix» – «nous livrent leurs impressions très personnelles sur leurs premières amours».


Une autre raison et non la moindre qui motive la Ville à soutenir la série aphinités «est que les récits sont souvent en rapport avec la ville et, surtout, ils sont illustrés par des photos issues des collections de la Photothèque de la Ville», un cliché de Pol Aschman figurant d’ailleurs dans l’ouvrage Premières amours. Le temps de signaler que la grande exposition estivale du Ratskeller (Cercle Cité), cet été 2021, sera précisément dédiée à l’œuvre de Pol Aschman à l’occasion du 100e anniversaire de sa naissance.


Premières Amours est désormais disponible dans toutes les libraires du pays.


++++++


Notez enfin que vient de sortir des presses Le tournoiement des ombres, dialogue – et fruit d’une grande amitié – entre l’artiste américaine Holley Chirot (1942-1984) et le poète-galeriste André Simoncini qui a exposé son oeuvre dès 1982, un «monde étrange qui emprunte aux mythes et à de secrètes fantasmagories, monde plein de tourments mais aussi de facéties».


«Ses masques et ses automates très fragiles ont été restaurés pour une dernière exposition luxembourgeoise au printemps 2019. Ses peintures et ses gravures sont visibles aujourd’hui au Smith College of Art de Northampton, à la Bibliothèque publique de New York, à la Fondation Benjamin Bernstein, au Springfield Museum tout comme au Musée National de Roumanie ou à la Bibliothèque Nationale de Luxembourg. Restait donc à concrétiser un projet évoqué avec l’artiste mais délaissé après sa mort: un livre à deux voix. C’est ce livre qui prend corps aujourd’hui».


Infos:


Le livre au format 20x26 est accompagné d’un QR code qui ouvre à 12 préludes pour piano solo du compositeur et violoncelliste belge Adrien Tsilogiannis, inspirés des eaux-fortes et des poèmes (lus par Myriam Watthee-Delmotte). Il est disponible à la galerie Simoncini (6 Rue Notre Dame, Luxembourg)au prix de 20 euros. Tél.: 47.55.15.

60 vues
bottom of page