On va dire que c’est… l’été !
07.00h, mon café a l’allure d’un poème de Prévert, le fameux Déjeuner du matin, moult fois décortiqué dans ma mémoire d’écolière, mais en moins lugubre. Il n’empêche, la tasse, la cuillère qui touille, le rond de fumée, ça, ça y est, tout comme… le manteau de pluie.
Parlant de Prévert, c’est lui qui a choisi le pseudonyme de l’actrice Nicole Dreyfus, devenue Anouk Aimée, icône de la Nouvelle Vague, à jamais énigmatique partenaire de Jean-Louis Trintignant dans le cultissime film de Lelouch de 1966, Une homme, une femme, chabadabada…
Mais donc, il pleut… il pisse, ou, pour le dire comme Victor Hugo, «il lansquine… vieille figure frappante (…) qui assimile les longues lignes obliques de la pluie aux piques épaisses et penchées des lansquenets, et qui fait tenir dans un seul mot la métonymie populaire: il pleut des hallebardes» (dixit Les Misérables).
Plus communément, à défaut de lansquenets, quand le ciel se fâche d’abondance et de façon drue, on dit qu’il… pleut des cordes, répétant ainsi sans le savoir une métaphore qui date du XVIIIe siècle. Ça nous fait une belle jambe. En attendant, on est «trempé comme une soupe» – une expression qui, elle, remonte au XVIIe siècle, c’est dire si la météo a la langue chargée.
Perso, je ne déteste pas marcher sous la pluie.
Et sans doute que Manu non plus.
Manu expose à Beckerich, à la Millegalerie, un petit lieu blanc très lumineux, né de la nature et du patrimoine. Et Manu, c’est Manuella Piron, une artiste graveuse… habitée de fulgurances dès lors qu’il s’agit de rendre hommage au vivant, de nous parler de l’arbre comme d’un monde qui la trouble intensément, à force… de l’observer intensément. Entre Manu et la Millegalerie, la noce est écrite. Je vous raconte.
Le temps ne respecte pas ce qui se fait sans lui. Et Manu le sait bien… qui prend le temps d’arpenter sa gaumaise campagne (au sud de la province de Luxembourg) et de s’inventer des conciliabules avec de ligneux amis de rencontre.
Si l’arbre a toujours eu l’art de faire déborder les imaginaires de l’encrier, Manu en dit encore autre chose. Déjà, pour chaque spécimen – du noisetier au tilleul –, elle se souvient de son emplacement précis, près de tel pont ou à droite de tel carrefour par exemple, afin d’éviter l’indifférencié, l’anonymat ou le hors-sol de fiction, et c’est désarmant, comme une façon de nous confier une intimité de rendez-vous, et d’aussi nous inviter à partager ce qui tient somme toute d’une expérience aussi physique que spirituelle.
L’arbre en question est donc unique – comme la rose pour le renard du Petit Prince – et il existe dans un endroit particulier. Partant de là, une histoire s’accroche aux branches.
D’abord, de l’arbre, Manu en tire le portrait photo, transposé alors en dessin – cet art non de voir mais de regarder –, puis gravé, travaillé la gouge, dans ce matériau spécial, plutôt souple, dit linoléum – techniquement, l’artiste utilise 2 plaques, l’une pour dire tantôt l’ombre tantôt le vert, l’autre pour faire naître les lignes de force de cet être incarnant, selon elle, l’image du début du monde, en même temps qu’il est le miroir de sa météo intérieure – c’est d'ailleurs pourquoi l’expo s’intitule L’arbre émoi.
Toujours l’arbre de Manu se résume à une expression simplifiée, soit: quelques traits noirs qui fendent l’espace de la page, blanche comme un linceul. C’est tout le profil de l’arbre mort. Sauf que l’énergie y suinte à jamais.
Donc, quelques traits noirs pour capturer l’essentiel: l’esprit et le pouvoir… de faire rêver, de réenchanter, de réconcilier, de communiquer/communier, de résister aux assauts des siècles, humains et naturels, comme dans le cas de L’arbre dans le vent, courbé à l’équerre sous la pression de la bourrasque.
Récemment, un liseré a surgi, une fine brume ourlant soyeusement certains traits, comme si l’arbre exhalait son ombre comme une âme grise.
Et puis, voici du vert. Inspiré d’un voyage en Italie et dans le Monténégro. Un vert qui sent l’olive. Et des oliviers d’avant le déluge, qui font écho à notre vanité, à l’éphémère de notre existence. C’est ainsi, dans la nouvelle série, que des nuages verts s’évaporent, s’échappent des troncs noueux (toujours stylisés) comme de drôles d’oiseaux ou de papillons (visuel ci-dessus). Mais le vert dit aussi la feuille, Manu, apparemment apaisée, métaphoriquement passée à l’heure d’été, en habille les noisetiers étonnamment tortueux… découverts dans le jardin d’une amie, à Muno, un village de Gaume, terre… d’émoi.
Ailleurs, en un duo grand format (50 x 60), Le saule pleureur et Le tilleul échangent des regards invisibles, une complicité secrète… que Manu rend perceptible et qu’elle dédie son père, décédé il y a 30 ans.
Tout au long, la poésie vibre, tout autant que l’amour, à l’exemple de Les inséparables, une fusion de baobabs. Pour le coup, Manu n’est jamais allée sur l’île de Gorée, mais, sensible aux signes de la nature, elle transcrit à sa façon la légende contée par Ovide dans Les Métamorphoses, quand Philémon devint un chêne et Baucis un Tilleul afin de vivre ensemble par-delà leur mort, une légende dont l’écrivain Marcel Béalu s’est emparé en 1962 pour nous offrir l’émouvant poème intitulé Légende: «Deux amants sont devenus arbres pour avoir oublié le temps… »
On succombe jusqu’au 7 juillet, du jeudi au dimanche de 14.00 à 18.00h – à la Millegalerie, Moulin de Beckerich (infos: www.kulturmillen.lu). Notez que le dimanche 30 juin, à 15.00h, la conteuse Mélissa racontera des histoires en symbiose avec les gravures de Manu Piron (pour adultes et enfants à partir de 10 ans, réserv. souhaitée tél.: 621.25.29.79).
A ce stade, je pourrais vous conter la foudre qui terrassa le prunier planté par mon grand-père le jour de ses fiançailles, ou le tilleul qui, un soir de Noël, devant la maison de famille, s’effondra sous une houle de grêle…
Mais, disais-je dès l’entame, je ne déteste pas marcher sous la pluie.
Et sans doute que Lambert non plus.
En tout cas, le poète Lambert Schlechter fait marcher le quotidien. Et fait en sorte que l’ivresse d’exister rejaillisse toujours sur la page. C’est ça le pouvoir révolutionnaire de la poésie…
Et Lambert Schlechter – présent au 41e Marché de la poésie à Paris (notez en passant que les premiers livres des éditions LUAR de Marco Godinho sont aussi de la partie au stand 515) jusqu’au 23 juin – Lambert, dis-je, est Le voyageur immobile du nouveau film de Serge Wolfsperger, produit par Bombyx, collectif d’artistes, avec le soutien du CNL, dont la diffusion sur RTL Luxembourg est annoncée pour le 23 juin à 20.00h.
Le pitch? Une histoire vraie, un drame, une résilience, un miracle de (la) littérature.
En 2015, un incendie ravage la maison de l’écrivain Lambert Schlechter détruisant d’innombrables livres et ses précieux manuscrits. Quelques années plus tard, Lambert reconstitue une partie de sa bibliothèque dans une nouvelle demeure qu’un événement va l’obliger à quitter. Le film est ainsi un voyage dans le monde secret d’un écrivain (visuel ci-dessus), à l’aube d’un ultime déménagement de ses compagnons de toujours, les écrivain-e-es.
Autre voyage, en mode fado. Avec Filipa Leal et Raquel Serejo Martins, deux grandes voix de la poésie contemporaine portugaise qui nous emmènent de Lisbonne à Mersch – précisément au CNL (Centre national de littérature) – le 24 juin, à 19.30h.
Au cours de cette soirée (en français et en portugais), il sera question de langue maternelle, de poésie, de traduction et de théâtre. La comédienne Magaly Teixeira lira des extraits en français de la pièce A iguana viúva de Raquel Serejo Martins, mis en voix par Rita Reis.
Le lyrisme de la soirée sera doublé de notes de fado par Magaly au chant et Pedro Quintas à la guitare portugaise.
Plongez ainsi dans ce que la lusophonie a de plus vibrant et découvrez quelques facettes de l'œuvre littéraire des deux invitées.
Avec le soutien du Printemps des poètes-Luxembourg et du Centre culturel portugais - Camões Luxembourg.
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