Poussés par le chaos sanitaire, nombreux sont ceux qui (ré)interrogent la liberté. Individuelle. Collective. Et les fausses libertés aussi, eu égard aux ressources par exemple – eh oui, bien sûr que chacun est libre de manger des abricots en janvier, sauf qu’avant de fondre sur la langue, les fruits ont pris un avion, un bateau, un train et des camions, et bien sûr que chacun est libre… de s’en ficher.
Janvier, ai-je dit? C’est le mois du blanc. Selon une tradition vieille de plus de 150 ans, due à Aristide Boucicaut, fondateur du Bon Marché, qui, pour relancer les ventes du premier grand magasin parisien, décida de solder les stocks de linge de maison. Le succès fut immédiat. Pérennisant l’expression «le mois du Blanc»… qui n’a donc rien à voir avec une neige hypothétique.
En tête de beau linge, il y a le drap. Et à en croire Jacqueline Mabit (romancière québécoise, née en1919), «on se glisse entre les draps comme entre deux pages et on devient soi-même une belle histoire».
Alors, l’histoire de ce jour tisse d’improbables liens entre la poésie (de Guy Goffette, ci-après) et le devoir de mémoire (ou théâtre de nos heures sombres, dixit Adolf Eichmann), entre la peinture (qui réunit le Camerounais Barthélémy Toguo et le Congolais Freddy Tsimba autour d’une Cartographie des possibles à la galerie Nosbaum Reding) et la danse (avec notamment le projet Vibrant Landscapes de Claire Hurpeau, qui évoque les différents états du vivants le 3 février, à19.00h, à la Banannefabrik, Bonnevoie, lors du désormais incontournable rendez-vous mensuel du TROIS C-L, www.danse.lu).
L’histoire du jour télescope aussi Esch 2022, Capitale européenne de la culture – j’y viens en bout de post.
Surtout mon histoire raconte celle de ma maman. Qui lessive chaque lundi. D’abord… le blanc. C’est comme ça depuis toujours. Sauf que son corps n’en peut plus. J’en suis l’inconsolable témoin. Et je l’évoque au travers de certains courriels amis. Les réactions ne se font jamais attendre, chavirantes.
«Prenez soin de votre maman», me susurre Anne-Marie Finné, dessinatrice (bruxelloise) accoucheuse d’ombres et de lumières volatiles, «ces moments sont à vivre intensément, d’autant qu’ils nous coupent du monde un temps, votre temps». Ou «la santé de ceux qui nous sont chers engage notre présence et notre attention», m’écrit un Marco Godinho ultra sensible. Autant de mots simples, bienveillants, empathiques, qui dégoulinent de vécu partagé. Et voilà, par les mots, que l’impensable advient, de l’ordre du raccord apaisé à la vie.
En mots, le Belge Guy Goffette en connaît un rayon, lui, l’une des grandes voix de la poésie francophone, moult fois primé – Prix Mallarmé, Grand prix de poésie de l’Académie française, Prix Goncourt de la poésie et cetera – , qui pendant le confinement avait commis Pain perdu à l’adresse des éclopés que nous sommes et qui, aujourd’hui, entre dans la collection bibliophile des Editions Simoncini avec Paris à ma porte, recueil accompagné de gravures originales de Vincent Gagliardi.
Pour la cause, dès le 4 février, vernissage à 18.00h, la galerie Simoncini accueille La promenade de la couleur (photo ci-dessus), une série de travaux récents du graveur lorrain Gagliardi – bien connu du public luxembourgeois – , exposition auréolée le dimanche 13 mars, à 11.00h, par une rencontre avec «l’admirateur de beauté» qu’est Guy Goffette – échange suivi d’une lecture de poèmes.
Infos:
Galerie Simoncini, 6 rue Notre-Dame, Luxembourg, du mardi au vendredi de 12.00 à 18.00h, samedi de 10.00 à 12.00h et de 14.00 à 17.00h, tél.: 47.55.15, www.galeriesimoncini.lu
Ah oui, sans transition aucune, si ce n’est la chronologie, notez aussi que du 5 février au 5 juin, Hisae Ikenaga, lauréate 2020 du prix LEAP, investit le centre de la Rotonde 2 (à Bonnevoie) avec une installation baptisée Archaeological Manufacturing, soit, la mise en scène d’une fouille archéologique qui joue avec l'histoire du lieu. On se précipite… dès l’inauguration ce vendredi 4 février à partir de 18.00h. www.rotondes.lu
Après deux années de bouleversements liés à la pandémie, nos institutions théâtro-musicales continuent de se réinventer. C’est surtout le cas de l’opéra. Qui tire brillamment son épingle du jeu grâce à la créativité et la prise de risque du metteur en scène Stéphane Ghislain Roussel (aussi auteur et curateur), dont la vision artistique accélère les particules comme un Boson. Son récent diptyque opératique Zu unseren Schwester, zu unseren Brüdern – qui n’est plus à l’affiche au Grand Théâtre, et qui en fait se passait en 2 lieux reliés par une performance en tram – , son diptyque, dis-je, faisait écho à la vie du camp de concentration Theresienstadt et à l’emprise autoritaire du 3e Reich. Spectacle engagé s’il en est – ne le ratez pas là où il passe!
Ce qui a la cote, hormis le théâtre du réel (ou théâtre documentaire de l’actualité politique et sociale), c’est précisément le spectacle-miroir des désastres du monde d’hier … en lien (plausible) avec ce qui gronde dans nos réalités. C’est ainsi/aussi le cas d’Adolf Eichmann, l'un des cerveaux de la «Solution finale», l'extermination planifiée et exécutée de millions d'hommes, de femmes et d'enfants juifs – Eichmann dont le procès en 1961a permis à Hannah Arendt de développer le concept philosophique de «la banalité du mal».
Et Eichmann (photo ci-dessus), c’est un spectacle – mis en scène et co-écrit par Serge Wolfsperger & Gilles Guelblum –, interprété principalement en allemand, aussi en français et hébreu, co-produit par le TNL et programmé demain à Dudelange, au Centre culturel régional Opderschmelz, soit – oui, on se dépêche! – le 2 février, à 20.00h.
Sur le devoir de mémoire, impossible de ne pas également souligner que Laurence Benaïm, auteure de La Sidération (janvier 2021, chez Stock), est l’invitée de l’Institut Pierre Werner le 3 février, à 19.00h, le temps d’échanger sur son ouvrage où elle tente de reconstruire la biographie de sa mère Nicole, qu’elle ne connaît que très peu, cardiologue parisienne très occupée, petite fille juive cachée pendant la Seconde Guerre mondiale. L’histoire de famille, qui se révèle ainsi, permet de retracer le sort des juifs français et algériens du XXe siècle. «Avec émotion, subtilité et force, Laurence Benaïm décide de les faire parler tous, pour lutter contre le silence».
Ça se passe à l’Abbaye de Neumünster, en français et c’est entrée libre. Mais réserv: billetterie@neimenster.lu ou tél .: 26.20.52.444.
En même temps, tant qu’à se réinventer, des créateurs changent de méthode pour valoriser le temps, le soin, la rencontre, la fragilité. C’est salutaire pour le public essoufflé.
Et le public, c’est lui et d’abord lui qu’Esch2022 sollicite pour son ouverture le 26 février, de 17.30 à 23.00h: son «REMIX Opening», promis-juré, sera un grand projet participatif. Donc, pas de fanfare, rien de solennel, mais du ludique, de l’interaction et de l’immersion (photo © Battle-Royal-Berlin). Je vous en dis deux mots, le reste suivra sous peu.
En gros, sachez qu’en fonction du profil reçu (sur le site web) lors de la réservation de votre billet (gratuit, en ligne), chaque visiteur se verra attribuer un parcours… parmi les quatre possibilités façonnées d’après un type de caractère et illustrant certaines valeurs. Concrètement, il y a «Iron Furnace», en souvenir de l’énergie des hauts-fourneaux, «censé regrouper les personnes passionnées, qui inspirent les autres, les font rire et bouger», «River Alzette», en écho à la fluidité de l’eau de l’Alzette, «censé rassembler les personnes loyales et attentionnées», «New Horizons», qui évoque la curiosité et la capacité d’innovation, «censé correspondre aux personnes inventives et imaginatives, qui aiment l’aventure et les nouveaux développements», et enfin, «Red Earth», en référence à la Terre Rouge qui rappelle notre passé industriel, «censé réunir les personnes qui ont les pieds sur terre et tirent les leçons de leurs expériences passées».
Ça promet…
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