Avec son expo Summer of'69, la Villa Vauban plonge «en surface» dans un contexte contestataire historique désormais iconique, souvent exhumé comme «la» référence libératoire, du tout est permis, tout inventé, tout expérimenté, avec, sous l’angle artistique, la création de nouvelles pratiques – happening, performance, land art, body art, intervention (éphémère) en espace public et j’en passe – que le langage contemporain perpétue.
Si le mouvement est mondial, l’enjeu de Summer of’69 n’est bien sûr pas d’en faire le tour mais d’en souligner la résonance dans la jeune génération artistique luxembourgeoise de l’époque, d’opérer un zoom sur «l’esprit libre» de cette scène luxembourgeoise qui, fin des années 60, dans le favorable climat de l’expérimentation, cherche pour le moins «à remplacer l’abstraction en tant que «langage universel de l’art»».
Un «esprit libre» qui s’incarne en 1968 dans le collectif «Arbeitsgruppe Kunst» – co-fondé par Berthe Lutgen, peintre et féministe née en 1935 à Esch-sur-Alzette, aux côtés de D.L.Carlo, Roger Kieffer, Marc Reckinger, René Wiroth et Pierre Ziesaire –, créant notamment la surprise lors du Salon du CAL en octobre 68 avec un tableau-environnement vivant de 20m2, intitulé We call it Arden and we live in it, où les artistes s’étaient installés «presque nus» sur une prairie artificielle et sous un ciel d’aluminium (voir photo ci-dessus: Tony Krier, 1968).
Lequel collectif accouche en 1969 d’un groupe informel surnommé «Initiative 69», à qui l’on doit la spectaculaire Première exposition non-affirmative et coopérative d’art actuel: huit artistes luxembourgeois y participent, tous membres du collectif «Arbeitsgruppe Kunst», dont Carlo, Collignon, Kieffer, Reckinger, Weydert, Wiroth et bien sûr Berthe Lutgen, ainsi que Michel Daleiden («Misch Da Leiden» de son nom d’artiste), peintre et sérigraphiste né en 1948 à Luxembourg, tous deux co-initiateurs de cette première expo-performance spectaculaire. Qui parle de l’acte destructeur, de la violence révolutionnaire transposé symboliquement dans/par l’art et qui déjoua «la passivité voyeuriste» du public en l’impliquant dans un happening final… parfaitement incontrôlé.
Voilà qui est fort intéressant. Mais c’est à lire entre les lignes dans une première salle-contexte ainsi que dans le catalogue. Parce que, voilà, ce que Summer of’ 69 donne à voir, c’est une sélection d’œuvres de deux artistes, une femme et un homme, à savoir: Berthe Lutgen – qui fut élève de Beuys, par ailleurs remise en lumière grâce à quelques expos peu ou prou récentes dont celle des états de la gravure (Figure in Print) à la Bnl en janvier 2021 – et Misch Da Leiden, disparu des radars (du moins pour moi), car installé depuis des lustres à Düsseldorf. Une sélection choisie comme une façon de «mettre en perspective» les actions artistiques du groupe contestataire «Initiative 69», sauf que c’est une option parcellaire/incomplète, qui a toutes les chances de tendre le bâton pour se faire battre.
Il n’empêche, c’est une façon de suivre l’évolution artistique de deux créateurs majeurs, Lutgen et Da Leiden, et de jauger leur lien conservé ou non avec «la force subversive de la révolte de la fin des années 60». Du temps, donc, où, par exemple, surfant sur «une idée de trivialisation de la sexualité», Berthe présentait «une installation composée de cinq peintures de corps de femmes»… en culottes. Ou à ras de culottes, à répétition.
Berthe et Misch, tous deux, adeptes des collages, travaillent toujours, et ce que l’expo, qui va et vient dans leur passé et leur actualité, me révèle prioritairement, c’est l’esprit dada qui ferraille (encore) intensément dans les compositions de Da Leiden, perpétuel détracteur de la surconsommation.
En tout cas, Summer of' 69 est une initiative de dépoussiérage d’une année cruciale dans la vitalité artistique luxembourgeoise, c’est une extraction des oubliettes, certes partielle (d’aucuns diront partiale), mais à saluer comme tout ce qui empêche l’oubli ou peut éclairer autrement un pan méconnu de l’art au Luxembourg et, surtout, prompte à susciter une réflexion quant à l’actuelle «marche de l’art», grosso modo tributaire de la «valeur du marché» et d’abord accrochée comme une moule aux directives (et aides) des institutions.
Pour le dire simplistement, l’art du jour est d’une grande tristesse… eu égard par exemple à l’humour, l’insolence et l’impudeur des expériences comme celles des «Granges de Consdorf» (non examinées dans l’expo), prémices d’«Initiative 69», se proposant d’en finir avec l’art marchandise.
Aujourd’hui, matière(s) à s’insurger il y a, tout comme hier, à commencer par le climat ou l’écologie, le sexisme ou le racisme décomplexé et les migrations, et des artistes s’y collent, recourant (ou non) aux nouvelles technologies. Mais, tout comme le miroir qu’ils tendent à la société foncièrement somnolente, les artistes restent en retrait.
En fait, ce qui est en faillite, ce n’est pas le constat ou l’observation, ni même (parfois) le coup de poing, non, c’est une nouvelle voie. De l’ordre du réenchantement. A une société bouffie et bouffée par la violence, le repli et la haine, une aspiration fait défaut. Que l’art pourrait/devrait allumer. Comme une étoile. Une utopie. Trouver la folie ou la poésie des possibles.
Infos:
Villa Vauban – Musée d’art de la Ville de Luxembourg: Summer of ’69. Œuvres de Berthe Lutgen et Misch Da Leiden depuis les années de révolte, jusqu’au 22 mai 2022, www.villavauban.lu
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