Un nouveau prix national est né, dans le domaine des arts visuels, à savoir le Lëtzebuerger Konschtpräis… attribué ce 11 novembre à … Berthe Lutgen – dont on récompense ainsi la carrière, la carrure de pionnière du mouvement féministe au Luxembourg et l’œuvre engagée, picturale et dessinée. Et ça s’est passé où? Au cœur de la Luxembourg Art Week (LAW).
Du reste, installée à l’extérieur de ladite LAW, au Glacis, la monumentale sculpture d’Aline Bouvy fait en quelque sorte écho à l’engagement de Berthe. Et comment? Par sa façon de bouturer la domination patriarcale et le dénigrement de la femme dans une structure aérienne, en inox brossé, intitulée Enclosure, laquelle, tout en dessinant un profil féminin, fait allusion au masque de honte, ou «bride de la commère», ce dispositif imposé comme un châtiment aux femmes qui «parlaient trop» dans l’Angleterre du XVIe siècle. En prime, dans l’espace intérieur d’Enclosure, où il y a aussi lieu de lire une dimension socialo-agricole (femmes exclues de la terre dans la même Angleterre du XVIe siècle), flamboie une magnifique toquée de belladone, plante toxique jadis associée à la fois au sabbat des sorcières et à la jouissance féminine par les états d’extase qu’elle est censée provoquer.
Enclosure reste visible à l’entrée de la foire jusqu’au 21 novembre.
Sinon, LAW, énième grand-messe de l’art marchand? Eh bien, pas que. Je dirais même que grâce aux galeries (parfois de renommée internationale) qui s’y pressent, vous avez l’occasion de rencontrer en 4 jours des oeuvres (qui cognent, qui interrogent, qui réenchantent, même parfois à couper le souffle) qu’autrement vous ne verriez qu’en galopant des mois durant à travers 80 galeries du pays et de Paris, Strasbourg, Vienne, Berlin, Cologne, Francfort, Bruxelles, Bastogne, Vielsalm et j’en passe. Une belle excursion, certes, mais dont ici, dans une structure éphémère de 5.000 m2, vous glanez les coups de cœur.
Autrement dit, LAW, qui aussi se distingue des barnums du genre par sa taille humaine, a une allure d’école de regard, d’autant qu’à coups de conférences et tables rondes, des discussions télescopent les enjeux sociétaux et technologiques de notre époque, dont l’intelligence artificielle et les NFT, sans bouder les outils d’accompagnement des artistes dans le développement de leur carrière que sont notamment les résidences, ni par ailleurs le rôle des collectionneurs.
Conférences, oui, mais aussi performances. A l’exemple de celle, musicale, de Filip Markiewicz présent dimanche, à 15.00h, au stand de la Konschthal Esch pour la signature de son livre Markiewicz: Euro Hamlet. Instant Comedy. Ultrasocial Pop. Raftside, publié par Hatje Cantz – notez que Filip est parallèlement présent au stand de la galerie Zidoun-Bossuyt où s’expose sa toute dernière création, Lust for Live (Envie de vivre), un tableau cynico-caustique où une sorte de cow-boy surgit, dégainant… deux cigarettes.
Je dis donc que LAW, 8e édition, a une allure d’école de regard. Et vous auriez tort de ne pas y succomber – du reste, on se dépêche, LAW ferme ses portes ce dimanche 13 novembre, à 18.00h.
Alors je déambule. Et cueille non pas un «Top Ten» mais quelques pépites parfaitement subjectives. A commencer par ceux dont vous pouvez prolonger la découverte via leur expo en cours au centre-ville. C’est le cas de Clément Davout – peintre vivant à Bruxelles, qui saisit les silhouettes des plantes ou, plutôt, leurs ombres projetées (photo ci-dessus), sachant que «dans un monde où prévaut un rapport univoque aux choses, le choix de l'ombre ne peut qu'interpeller; c'est le choix du trouble et de l'incertain, du refoulé et de l'insaisissable» (dixit Romain Mathieu) – que présente la galerie Reuter-Bausch, dont c’est la première participation à LAW, et qui frappe fort (14 rue Notre-Dame, www.reuterbausch.lu).
C’est le cas aussi de Fatiha Zemmouri, née à Casablanca mais qui prélève de la terre de Tahanout, ville au pied du Haut Atlas, là où elle s’est installée il y a plusieurs années, pour en herser ses objets-tableaux. Qui ont donc des allures de labours. Résultat? Une sorte de travail en pisé, creusé de sillons où s’égarent des brins de paille, une matérialité tracée par le geste, un paysage de terre brûlée où s’incarne l’empreinte, une abstraction formelle où palpitent le vécu et sa mémoire, une cartographie d’un sol nourricier «célébré en tant que tissu vibrant donc vivant».
Dans d’autres travaux, Zemmouri lisse son champ, le strie de motifs graphiques, qui font écho à une architecture sinueuse, qui en tout cas se répètent jusqu’à l’illusion du mouvement, perfusé par des ombres et des lumières (photo ci-dessus).
Le Hors-Sol de Fatiha Zemmouri, qui arrache à la terre son énergie, beauté, et qui tient à la fois de l’expérience et de la contemplation, se découvre au stand Nosbaum Reding, mais également dans la galerie éponyme rue Wiltheim (Luxembourg) jusqu’au 5 janvier. Incontournable. Infos: www.nosbaumreding.com
Tant qu’à parler de Nosbaum Reding, notez que son espace Projects se consacre tout entier à l’artiste portugais Nuno Lorena, à ses fusains vibratoires, transcripteurs de l’atmosphère poétique que l’artiste a longuement guettée en divers lieux, en toute intimité.
C’est le cas enfin d’Adrien Vescovi qui «vit et travaille à Marseille depuis 2017 après une longue pratique installée dans les montagnes de Haute-Savoie», et dont je vous ai déjà parlé. Et qui déplie ses monumentaux pans textiles – draps brodés récupérés, (re)colorés à coups de végétaux ou selon des processus alchimiques impliquant le soleil, la lune, l’air, le feu, en menthe, rouille ou ocre – tout autour de l’espace Café Adrien.
Vescovi réinvestit ainsi la question de la toile libre, à une échelle architecturale. Qui interagit avec l’environnement naturel et le contexte dans lequel l’oeuvre s’installe. Pour le dire simplement, l’artiste coud, et cousant, il assemble des couleurs, soit: sa «manière de coudre est une façon de peindre. Le hasard est son allié».
Conjointement, Adrien Vescovi déploie son immense et magique cathédrale de draps dans Jours de lenteur, à voir et revoir sans modération au Casino Luxembourg (Rue Notre-Dame) jusqu’au 29 janvier. Emotions. Infos: www.casino-luxembourg.lu.
Ce qui me permet d’embrayer encore sur la particularité de Luxembourg Art Week, une foire d’art pas comme les autres, qui se positionne comme un catalyseur de la scène artistique luxembourgeoise, par la remarquable synergie mise en oeuvre entre les différentes institutions du pays et de la région, dont le Casino Luxembourg, mais aussi le Mudam, le LUCA, le Cercle Cité, la Konschthal Esch, la Möllerei (Belval) et le Centre Pompidou-Metz.
Enfin, faites assurément un détour par la galerie Dys (Bruxelles), «spécialisée dans une forme de figuration contemporaine habitée, expressive et onirique», la preuve notamment avec les hauts reliefs céramiques d’Etienne Pottier, disciple de fantasmagorie et de collapsologie, sinon d’apocalypse. Et par la galerie Louis Gendre (Chamalières), où se laisser surprendre par l’univers de Marcin Sobolev, artiste belge attaché à ses origines russe et polonaise, aux traditions, au folklore et aux histoires que lui racontait sa grand-mère, artiste adepte du geste simple, du matériau pauvre, de l’ hybridation entre art populaire et imaginaire.
Et puis, pendant ce temps, le CAL (Cercle Artistique de Luxembourg) fait salon. C’est une tradition. Et ça se passe à quelques foulées du Glacis, au Tramsschapp (49 rue Ermesinde), incubateur du prix Pierre Werner…
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